L'interview est intéressante (même si l'accent ouesh-ouesh du journaliste est agaçant).
Un bémol toutefois. Mettre toutes les religions judéo-chrétiennes dans le même sac est malhonnête. Certes Jésus chasse les marchands du Temple un fouet à la main (mais aucun verset ne mentionne qu'il les ait frappés). Quant à la violence de Paul de Tarse, c'était avant sa conversion, et si le message de Paul est globalement très subjectif, pour sa défense il n'a jamais connu Jésus.
La sempiternelle allusion aux croisades catholiques est de trop. Les croisades étaient un désir humain de l'époque (d'accéder librement à Jérusalem). De tels agissements ne sont non seulement pas prescrits dans le nouveau testament, mais réprouvés.
Pour ce qui est de la non-ingérence dans la politique des autres pays, oui j'approuve car chaque peuple doit trouver en lui-même ses propres ressources, ses propres convictions et la direction qu'il peut prendre. Notre révolution est née de notre réflexion et de notre maturité. Les évolutions ne doivent-elles pas venir de l'intérieur sous peine de ne jamais prendre réellement racines ?
Mais si la non-ingérence doit être la règle, qu'elle le soit alors de part et d'autre. Certaines sont insidieuses. L'islam s'installe chez nous et le contrôle de l'Etat devrait limiter son influence et ses divagations qui ne correspondent pas à nos croyances laïques. Et vendre au Qatar et à l'Arabie saoudite, c'est trahir notre pays.
Enfin, l'approche de Michel Onfray est pour l'essence en accord avec l'enseignement de Jésus, l'approche féminine du monde, ce basculement qui se languit de voir jour.
Brigitte Minel, auteure de Porteuses de Lumière.
Brigitte Sarah Minel, Auteure de Porteuses de Lumière
jeudi 2 juin 2016
Michel Onfray : «Nous sommes déjà en guerre civile»
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dimanche 4 octobre 2015
"Frappez et l'on vous répondra"... Il veut me revoir ! Se voir dans les yeux d'un autre : quand « l'objet » d'une autobiographie prend la parole...(2)
Fin juillet, j'avais exploré le fait d'avoir été l'objet d'une autobiographie. (Lien vers l'article)
Et voici qu'aujourd'hui, alors que je suis en grande conversation avec Atila Ismet, une bulle s'ouvre sur mon écran. Arthur Guillet m'écrit. Guillet... Se pourrait-il que ?
Oui ! Il veut me revoir ! Son grand-père Christian Guillet veut me rencontrer. J'éclate de rire, ce qui laisse mon interlocuteur sans voix.
Quelle étrange époque ne vivons-nous pas ? Hermès aux pieds ailés n'interpose-t-il pas sans cesse sa voix entre celles des humains ? Qu'allons-nous encore enseigner aux enfants sur la situation d'énonciation ?... Je vous rappelle la petite leçon : Qui est l'énonciateur ? A qui s'adresse le message et donc qui est le destinataire ? Quelle relation ont-ils ? Quels sont le lieu, le moment et les circonstances de l'énoncé ?
Pour nous tout se brouille, nos voix se mêlent...
Une femme parle à un homme, et voici qu'un jeune homme s'insère dans la conversation, à l'insu du premier. Elle rit. Elle rit d'une autre époque... de l'article qu'elle a écrit il y a trois mois ? de la situation d'il y a 35 ans ? de la réponse par personne interposée ? de la joie que l'auteur ne soit pas mort ?
Elle rit encore en écrivant les lignes que vous lisez.
Elle ne lui a pas encore répondu, au grand-père, via le petit-fils, que déjà elle vous en parle, qu'elle partage.
A qui parlons-nous aujourd'hui ?
Christian Guillet écrivait son autobiographie, et nous, que faisons-nous ? Nous écrivons ensemble nos vies, nous nous disons sans cesse les uns aux autres. Nous n'avons jamais autant écrit.
En manquons-nous de vivre ? Sommes-nous en train de devenir plus que jamais des êtres de langage ? Le logos (et là certains d'entre vous riront à leur tour) n'a-t-il jamais été autant présent ?
Plutôt que confusion, plutôt que platitude, j'y trouve une richesse. Le moi s'y perd et à la fois s'inscrit dans une parole sans cesse partagée, dans une parole commune. Une première pour l'humanité !
Alors, devrais-je le revoir ?
Devrais-je ancrer dans le présent les souvenirs ? leur redonner vie ? une nouvelle vie ?
A vous de me le dire.
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jeudi 3 septembre 2015
Donner de la terre (des terres) aux migrants ? Comment cesser le carnage pour les immigrants.
La dépêche.fr
Nous sommes sans cesse assaillis par les images des migrants, celles d'enfants la poupée au bras, quand ce n'est la vision d'un petit mort sur une plage...Nous nous sentons (je l'espère) misérables, impuissants, coupables.
Ne suffirait-il pas de dire oui ? Ne suffirait-il pas d'ouvrir nos portes et nos coeurs ?
A cet instant quelque chose se resserre en nous...
Nous savons que notre économie va mal, que nous manquons de travail pour les français, que la cohabitation est difficile, que nous avons peur de ne plus nous y retrouver, de perdre qui nous sommes.
Et puis la logique s'en mêle.
Est-ce que je saute dans la maison de mon riche voisin lorsque je peine à payer mon loyer ou mes traites de maison, lorsque mon mari me bat, ma femme me harcèle ? La solidarité existe mais elle ne peut être que ponctuelle. C'est bien l'histoire du bon samaritain, non ? Bien sûr il donne un coup de main. Mais non il ne prend pas le gars qu'il a ramassé sur le bord du chemin chez lui. Il ne lui cherche pas de travail. Il ne veut pas même savoir qui il est, d'où il vient, ni où il va.
Alors d'où vient notre manie de vouloir infantiliser les gens, les peuples, de leur offrir tout tout cuit dans le bec. Comment s'attendre ainsi à ce qu'ils évoluent, à ce qu'ils deviennent créatifs, à ce qu'ils réfléchissent. Ils sont chez nous comme des adolescents dépendants et rebelles.
Tiraillement, dissonance, comment être bons sans détruire ce que notre pays, nos ancêtres ont construit ?
Bien sûr ces gens ont le droit de fuir, de vivre en paix. Bien sûr ces gens-là, ça pourrait être nous. Bien sûr ils doivent avoir accès à une terre pour recommencer.
Justement. Une terre pour recommencer à zéro. Devenir des voisins.
Alors, quand nous décidons-nous à gérer le problème autrement ? Quand leur donnons-nous un pays à construire ?
La terre ne manque pas de terres peu ou pas habitées. Si l'on regarde une carte du monde avec sa densité de population, on sait que c'est possible.
Certes ils n'auront pas forcément tout de suite un grand confort. Mais les pionniers dont la vie, les croyances étaient en péril, et qui ont fui vers l'Amérique le savent, c'est possible.
dimanche 30 août 2015
Juifs messianiques, Israélites nazaréens, qui sont-ils ?
Mes études de théologie et plus particulièrement l'étude du grec et de l'hébreu, m'ont permis d'entrer pleinement dans les textes bibliques. Ce fut un régal.
Puis je me suis rapidement trouvée intriguée, observant des nuances (de taille) dans le texte. Les écrivains-nes du Nouveau Testament (les noms des auteurs n'ont été attribués que des siècles plus tard !), ceux d'origine juive, s'exprimaient en grec mais avec la tournure d'esprit des hébreux, comme lorsque vous parlez anglais mais en pensant en français.
C'est ainsi qu'est né mon roman Porteuses de Lumière. Je voulais montrer que le message de Yoshuah/Yeshouah, qui a fini au fil des traductions par s'appeler Jésus pour les occidentaux, s'adressait aux femmes, se révélait aux femmes, dans un enseignement qui promouvait une façon d'envisager l'existence proche de celle des femmes et qui rejetait les valeurs masculines qui oppressent le monde.
Puis une frustration s'est vite fait sentir en moi. Pourquoi l'Eglise occidentale avait-elle tellement sorti l'enseignement de Yoshuah de son contexte ? Pourquoi un tel rejet du monde juif auquel il appartenait ? Et enfin : qu'avions-nous à retrouver pour mieux comprendre son message ?
C'est ainsi que mes pérégrinations m'ont amenée ce samedi au Centre Messianique de Paris. Le message était familier : étude de la bible, enseignement, pas de partage du pain et du vin (sans doute le réservent-ils pour Pâque); mais aussi la joie de chanter en hébreu en plus du français (Pour rassurer ceux qui voudraient s'y risquer, le texte hébreu s'affiche sur un écran en translittération). Quelle joie que de chanter dans la langue que Yoshuah aurait lui-même parlée !
Quelle paix pour l'âme que d'entendre le message doux, fort et humble du rabbi Emmanuel Rodriguez, un message plein d'espoir pour qu'Israël reconnaisse son messie, et pour que nous-mêmes nous nous fortifions dans son message, que nous en devenions acteurs, que nous continuions à porter cette parole en la manifestant pleinement.
Le centre accueille les Juifs qui reconnaissent ou souhaitent découvrir le message du messie, et les Israélites nazaréens, ceux non-issus du peuple juif et qui reconnaissent le messie du peuple hébreux (les chrétiens au sens large).
Alors si vous souhaitez vous rapprocher encore un peu plus près de la source, vous imprégner des origines, on vous accueille ici.
Et vous pouvez lire ce bel article de Paul Ghennassia ici.
Shalom !
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lundi 13 juillet 2015
Se voir dans les yeux d'un autre : quand « l'objet » d'une autobiographie prend la parole...
C’est
à cinquante-six ans que j’ouvre enfin ce texte qui me nargue depuis presque
trente cinq ans. Christian Guillet a prétendu/déclaré « écrire sans
affabulation, à mesure qu’elle se déroule et sur plus de quarante années, les
annales de son existence individuelle ».
Pour
citer Philippe Lejeune, « L'autobiographe, lui (au
contraire du romancier), vous promet que ce que qu'il va vous dire est vrai,
ou, du moins, est ce qu'il croit vrai. Il se comporte comme un historien ou un
journaliste, avec la différence que le sujet sur lequel il promet de donner une
information vraie, c'est lui-même. »
Et
voici que je me glisse entre ces pages, curieuse de la perception de mon être
par autrui. Si j’ai eu peine à y consentir, trente-cinq ans de recul ont enfin
libéré le désir de les découvrir.
Philippe
Lejeune met en garde l’autobiographe : « un texte autobiographique
peut être légitimement vérifié par une enquête (même si, dans la pratique,
c'est très difficile !). Un texte autobiographique engage la responsabilité
juridique de son auteur, qui peut être poursuivi par exemple pour diffamation,
ou pour atteinte à la vie privée d'autrui ».
Je
fais une recherche sur internet, un lien s’affiche, Au nom du père sur Amazon. J’y lis : « Le père du
narrateur est fasciné par son fils au point d'en venir à se prendre de passion
pour la femme de celui-ci. Entre cet homme de soixante-douze ans et cette femme
de trente-neuf, l'amour, bientôt réciproque, devient difficile à vivre. Passion
douloureuse pour ces amoureux hors série, mais aussi pour le fils, soudain
délaissé à l'âge de quarante-six ans. Dans sa solitude, il voit venir vers lui
une étudiante, Patricia, qui éveille en lui un amour si ardent qu'elle prend
peur. »
Ce n’est
donc pas moi. Il est vrai que notre relation a été de courte durée.
Une pointe
de déception me taquine et au même instant je ressens un soulagement… Je l’avais
quitté, il s’en était bien vite remis, tout était pour le mieux.
Mais
me revient alors la menace répétée qui avait émaillé notre relation : « Vous
serez dans mon livre ! » me disait-il, quand ce n’était pas « Ah,
ça ce sera dans mon livre ». Cette remarque qui m’avait alors glacée et
littéralement figée, me retient encore un peu… "Je" dois être quelque part.
Je
pianote à hue et à dia sur internet puis sur Google books. Je trouve d’abord un
descriptif assez proche du précédent, avec pour précision : « Ni
mémoires ni journal intime, son autobiographie, en neuf récits, constitue
une entreprise unique et folle : écrire sans affabulation, à mesure qu'elle se
déroule et sur plus de quarante années, les annales de son existence
individuelle, pour y reconnaître tous les thèmes de la destinée universelle ».
Je remarque au passage que son œuvre a été saluée par de grands écrivains, ce
que je savais déjà puisqu’il était passé chez Jacques Chancel et chez Bernard Pivot.
En effet, de loin en loin, j’avais tenté de le rechercher dans les interviews
en ligne et même acquis un de ses livres, sans, fait étrange, avoir acheté celui
qui aurait pu me concerner – ce qui eût été facile dans la mesure où son œuvre était
chronologique. Etait-ce la trace mnésique du désagrément profond face à sa
volonté d’épingler ma personne sur le papier, qui m’avait fait occulter
momentanément (oui 35 ans peuvent être désignés par un « moment »)
cette piste de lecture ? C’est d’ailleurs sur l’insistance d’une de mes
collègues de Lettres, et amie, alors que je venais de mentionner la « petite
histoire » (donc pas oubliée du tout) que me voici ce soir-là, il y a tout
juste quelques jours, en train de googler.
Elle n’aurait pas pu se retenir de regarder, m’avait-elle affirmé, alors que j’affichais
une moue dubitative quand elle m’empressait de le faire…
Je
trouve enfin l’ouvrage qui correspond aux années de notre rencontre. Je tape
mon prénom dans la petite case de recherche (non, il n’aurait pas osé écrire mon patronyme !), rien ne
ressort. Je parcours l’ouvrage de loin en loin et sa passion annoncée, c’est
bien "Patricia".
J’inscris
alors « élève » car son élève j’ai été. Et voici que ce mot est le
sésame qui déverrouille mon passé.
Les
premières lignes me font éclater de rire. Je textote aussitôt mon amie : « J’ai
trouvé le passage où Guillet parle de moi ! Je suis morte de rire ! »
(Eh oui, mis à part Guillet, les écrivains s’expriment comme tout le monde
lorsqu’ils ne sont pas inspirés, en tout cas moi c’est clair.)
Je
ne me souviens pas que sa femme s’appelait Simonne. Je savais qu’elle était
prof d’allemand, qu’ils avaient deux fils, et j’avais gardé de leur appartement
(dans lequel il m’avait conviée même s’il
ne l’écrira pas) l’impression d’un endroit classique et stylé qui m’était
apparu à l’époque extrêmement vieillot. Une chose m’avait marquée plus que
tout, c’était le portrait des deux parents accroché au-dessus de la porte de la
chambre d’un enfant. J’avais fait la remarque que cet œil de Moscou ou de Big
Brother devait largement ébranler le sentiment d’intimité, remarque qui avait
amusé mon interlocuteur qui m’avait confirmé que c’était bien là son intention…
Tu vis sous le regard de ton père…
Ô
combien ma remarque était juste. Je n’avais pas encore lu son autobiographie « perpétuelle »,
puisque j’y suis venue seulement en 2014 avec les extraits de Pièces à conviction. En la parcourant, j’y ai découvert alors que
lui-même avait entretenu avec son propre père une relation étroite et
passionnelle par la personne interposée de son épouse, oui, son épouse à lui,
Christian Guillet. Ce qui aurait pu n'être qu’une relation de galanterie entre
un beau-père et une belle-fille, Christian Guillet l’a « activée » et
promue au rang de relation symboliquement incestueuse, adultère, par l’irruption
dans la famille de son écriture même, en publiant son œuvre. Non seulement
avait-il sacrifié toute sa vie à l’écriture de sa vie (cherchez l’erreur) – ce
qu’il m’avait confirmé par des propos soulignant le fait qu’il n’allait pas au cinéma, n’avait aucun loisir, n'avait jamais accompagné sa femmes dans ses sorties, ne supportait les vacances que dans la mesure
où on lui prêtait un bureau – mais il avait donné en pâture à sa famille le
reflet de sa propre histoire, déroutant le lit dans lequel elle s’écoulait,
là où l’on aurait aspiré à une bonne thérapie familiale selon mon sens
pratique. Ainsi trouvait-on dans ses écrits non seulement des mises en abyme, mais aussi une
instrumentalisation de son écriture dans la dynamique familiale. Tel un magicien
qui hypnotise son parterre, ma sensation est qu’il avait machiavéliquement précipité
ces deux êtres l’un contre l’autre, au grand dam de sa mère. Etait-ce pour
détourner la jalousie de sa femme ? dont pourtant il se vantait… « Elle
me fait les poches chaque soir ! »… une manière de se débarrasser d’elle ?
En
effet, à la lecture de cette autobiographie, on ne peut s'empêcher de remarquer deux
traits chez le narrateur : une sensualité obsédante et contenue, et une agressivité à
peine voilée qui lui permet de débusquer les ambivalences d’autrui et des
institutions humaines.
C’est
peut-être là qu’il avait rejoint l’adolescente que j’étais, à un âge où moi
aussi je tentais de comprendre le jeu des apparences sociales et ce qui se
tapissait au fond des êtres. J’avais aimé en cours ce professeur profondément
intelligent, à l’esprit acéré, cet homme hors du commun qui nous faisait sortir
de la naïveté de l’enfance. C’est sans doute là que je l'avais rejoint, par ces impertinences qui l’amusaient ou le séduisaient : « Six années
auparavant, j’avais eu en classe de seconde une élève aussi douée que rétive,
et qui me portait dans tout débat la contradiction la moins prévisible :
le prestige de ses sarcasmes en public me retirait l’envie de les châtier ». (Oeuvre complète, Tome III, Edition L'âge d'homme, p. 118)
Je
suis rapidement arrêtée par la « physionomie diabolique » qu’il m’attribue…
mes photos de l'époque témoignent plutôt de l’opposé !
Que
j’aimais son cours, soit ! Le personnage ne laissait personne indifférent.
Que je l’aie affirmé haut et fort, sans doute. Comme le souligne l’auteur :
« les adolescentes sont volontiers sensibles à la prestidigitation
intellectuelle ». Non je ne jouais pas avec mes cheveux en sa faveur. Oui
je gravais… son prénom ? (à l’époque nous n'étions pas punis pour cela)…
Christian… Ai-je même connu son prénom ?… Mais oui, Christian !
mon petit copain de l’époque ! celui qui venait me voir le soir sur sa
mobylette ! Quelle affreuse méprise, quel quiproquo !
« Vingt-cinq
potaches qui ne soupçonnaient rien ! » Et pour cause… Ils
connaissaient mes amours naissantes. Avaient-ils soupçonné son trouble à lui ?
Personne ne l’avait mentionné en tout cas. Et pourtant, je faisais partie de ce
cercle qui se réunissait au café du lycée après la classe. Notre joyeuse bande,
que visitaient parfois certains professeurs (mais pas lui), avait le plaisir d’accueillir
un élève de Terminale qui avait le don d’imitation et qui mettait en scène nos enseignants dans les situations les plus rocambolesques (je vous laisse
imaginer).
Je
lui parlais, oui, de « cette famille si déplorable que la recherche d’un
père allait longtemps gauchir sa (ma) vie affective ». N’aurait-il pas dû
comprendre alors ? Se ressaisir lorsque nous nous reverrions ? Un
professeur ne devrait-il pas mettre à distance son attraction envers un/une
adolescente, un/une jeune adulte (comme la version de moi qu’il allait rencontrer
plus tard) ? N’est-ce pas l’adulte qui doit rester maître de la
relation ?
En tout cas je n’étais pas amoureuse de lui, mais de « mon »
Christian, puis plus tard dans l’année d’un « vieux » certes… un
garçon de Terminale ! Pourtant j’avais remarqué que Guillet choisissait le
moment où je passais la porte pour s’y engouffrer à son tour, me frôlant au
passage, et j’avoue avoir été déconcertée mais flattée par l’attention
masculine de cet homme brillant.
Avais-je
risqué d’être renvoyée ? Probablement puisque le directeur de l’école m’avait
convoquée un jour pour m’annoncer que des deux élèves les plus agités en
classe, il me gardait moi, mes résultats étant bien meilleurs que ceux de mon
camarade. Ainsi n’avais-je pas eu temps d’avoir peur que j’étais rassurée d’être
toujours accueillie. Et je découvre aujourd’hui l’existence d’un conseil de
discipline auquel nous n’avions pas été conviés (et tant mieux). Il m’avait
défendue ? Je n’en ai jamais rien su ni deviné.
Sa mémoire brouillonne m’agace
lorsqu’il annonce mon renvoi différé. Il n’en a jamais été question, je m’étais
inscrite pour partir pour un an d’études aux USA.
Je
tique aux « insinuations sentimentales qui s’adressaient à moi seul,
aussi indéchiffrables pour ses condisciples que si elle avait usé d’un code
clandestin dont nous serions convenus tête à tête ». Par contre me reviennent
en mémoire ses remarques tout à fait explicites… Il m’avait fait asseoir au
premier rang, au bord de l’allée. Et ainsi s’approcha-t-il un jour de moi pour me
caresser soudain d’un doigt la tranche du nez du haut vers le bas… « Votre
mari bouffera brûlé, mais il ne s’ennuiera pas un instant » avait-il
ajouté. J’aurais pu alors le repousser, mais si cette phrase est restée si
longtemps dans ma mémoire, sans doute m’avait-elle touchée et promis quelque « magie » dont je ne comprenais pas tout à fait le sens. Oui mon mari a mangé brûlé !
Et pour le reste, je ne parlerai pas à la place d’autrui, moi.
Lui
ai-je téléphoné ? Oui. J’étais en quête d’un mentor, celui qu'il n'a pas su être. Quelle ne fut pas alors
ma déconfiture lorsque j’ai trouvé devant moi un petit homme transi, traversé
par une émotion manifeste dont la teneur me mit de suite mal à l’aise… Je finis par me laisser troubler.
Pour
le reste, c’est un bric-à-brac de souvenirs que je ne partage pas forcément.
A-t-il voulu rendre l’histoire plus romanesque ? Très certainement. Je ne
fumais pas. Ma fenêtre ne donnait pas sur la rue mais sur la cour. Ma « marraine »
ne payait pas mon loyer puisque l’appartement était à mon père. Vivant à New York,
elle n’aurait pu nous rejoindre pour le thé…
Les « interruptions »
qu’il invoquait comme autant de raisons de n'être pas spontané (le thé, le
courrier que j’allais chercher, sans oublier la menace d’immortaliser le moment par l’écriture – qu'il n'évoque pas dans ses écrits)
soulignent ses hésitations, son malaise, sa façon de ne pas vivre l’instant
présent et de ne pas même vivre la vie dont il prétend témoigner… Que
n’a-t-il pas généré ou fait avorter pour lui-même, pour ses proches ?!
C’est
cet être, devenu vide par sa passion, que je croisai alors, et aujourd'hui c'est l’objet
pris au piège dans les filets de son psychisme. Oui c’était bien « Patricia »
et non moi. Non cette Patricia qui étais moi ne me sied pas. Je
ne m’y retrouvais pas. Je ne m’y retrouve pas encore. Comment aurions-nous jamais pu nous rencontrer lui et moi ?
Christian Guillet a passé sa vie fasciné, à épier son propre psychisme. C’est le sens de l'adoration de l’idole,
celle qui tue la vie en nous, le veau d'or. Chez lui tout devenait mort, artificiel, contenu. J’ai
rarement vu une telle mise à distance de sa propre existence. L’écriture, avec
Christian Guillet, en devient diabolique.
« J’adore
les surprises, j’adore être celui qu’on n’attendait pas, celui qui est en trop
dans la fête et qui à la fois l’anime et la gêne ! » (Pièces à conviction, Ed. L'âge d'homme, p. 51)
Fait-il encore partie de notre fête ?
Je l'ignore. Il a cessé d'écrire sa vie à la mort de son père, peut-être a-t-il commencé à la vivre ?
Brigitte MINEL
Auteure de Porteuses de Lumière
GUILLET, Christian, La réédition de l'OEuvre complète de cet auteur par
les éd. L'Age d'Homme est l'occasion de consacrer quelques lignes à cet
écrivain salué par J. Blanzat, M. Martin du Gard, M. Galey, J. Piatier, P. Pia,
J.-Y. Tadié, M. Arland, R. Sorin, M. Jouhandeau, laissons la parole à ce
dernier qui a bien résumé le propos de l'auteur : "le projet que
forme C. Guillet d'écrire sans affabulation le récit de sa vie à mesure qu'elle
avance, dans l'intention d'en faire, en même temps qu'une oeuvre d'art, un
document irremplaçable, s'il le poursuit jusqu'au bout, avec autant de probité
que de patience, me semble assez extraordinaire et neuf." C'était en 1964.
L'auteur a clos son oeuvre dans un 9e volume en 1998.
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Christian Guillet écrivain.,
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